PIERRE EMMANUEL

Pour le cinquantenaire de la mort de VerlaineSorbonne - 16 février 1946





La liberté de l'artiste et de l'écrivainL’Église et la liberté, Semaine des intellectuels catholiques, 8 mai 1952



Poésie et prièreSainte-Marie de Neuilly - 1963







Un poète devant la beautéJournées thélologiques de Massy, 11-12 mai 1968








Discours de réception à l'Académie française28 mai 1969




Ouverture du 38e Congrès international du P.E.N. ClubDun-Laoghaire, près de Dublin - 12 septembre 1971






Inauguration du lycée Jules SupervielleSainte-Marie d'Oloron - 25 septembre 1971








Doctorat Honoris causa de l'Université de Montréal26 mai 1978







Claudel traduit la BibleNotre-Dame de Paris - 27 mai 1979







Je crois à la communion des saints aujourd'huiNotre-Dame de Paris - 25 novembre 1979





Colloque « Fil de l’épée », commission « du prestige »Paris - Invalides - 19 mai 1983

 

 

     « Il est de fortes et tragiques natures, nées pour affronter le malheur. Le combat qu’elles mènent contre lui n’a jamais d’issue décisive : prêtes à céder à l’abîme, les voici qui changent le vertige en acte de connaissance désespérée. Tel est éminemment Baudelaire, un rebelle pugnace à l’humaine condition, mais dont la révolte approfondit cette condition même. Il est aussi d’heureuses natures, qui semblent faites pour la douceur de vivre, et d’aimer : mais qui, par un douloureux paradoxe, naissent elles aussi sous le signe du malheur. Loin d’être taillées en force pour y résister, elles s’y abandonnent selon leur pesanteur naturelle, allant jusqu’à se complaire également dans la souffrance et le plaisir. Tel est Verlaine, né sous le signe Saturne, sans armes pour lutter contre la fatalité : eût-il été plus volontaire, nous n’aurions pas à célébrer aujourd’hui le seul poète qui, depuis Villon, ait su montrer à quel point l’homme naturel est instable – confondant l’animal et le divin dans une même nostalgie... »

 

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     « En visitant telle région de France, la Haute-Provence ou les Causses par exemple, vous avez pu voir des villages et même des cantons entiers en voie d’abandon : tout tombe en ruines, et les rares habitants qui demeurent y vivent de plus en plus mal, isolés, appauvris et précaires, à l’ombre de vestiges souvent glorieux. Ils vivent  et meurent  de nostalgie, trop peu nombreux, trop incertains d’eux-mêmes et de leur foi pour renouveler l’alliance qui les assurait de l’avenir. Bien qu’ils n’aient pas quitté le sol natal, ils finissent par lui devenir étrangers. De fait, la terre retourne à l’aride, les fontaines s’obstruent ou se perdent, la nature sauvage reprend ses droits : les repères de la mémoire s’effacent. L’enracinement est ici la pire souffrance : je meurs, et rien ne me survit, puisque je meurs d’une autre mort que la mienne, celle de la foi ou je fus enté… »

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     « Il n’y a proprement que le peuple de Dieu où la poésie soit venue par enthousiasme », écrit Bossuet dans Le Discours sur l’Histoire universelle. Cette citation m’est tombée sous les yeux alors que j’interrogeais Littré sur les termes qui se font face dans le titre de cet essai. Elle suit immédiatement la définition que Littré nous propose de la poésie comme « art de faire des ouvrages en vers ».
     La parole de Bossuet m’a retenu, non point en raison de sa convenance à la définition qui précède, mais, tout au contraire, de la distance qui l’en sépare. Cette définition porte la marque d’une époque assez peu sensible à l’autonomie de la pensée symbolique par rapport à l’entendement.
     En bon rationaliste, Littré réduit la poésie à un artisanat dans le domaine du langage. Il en va tout autrement avec Bossuet. Nous saisirons l’ampleur et la profondeur qu’il reconnaît à la poésie, si nous entendons le mot enthousiasme dans son sens originel d’inspiration venue d’un Dieu... »

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     « Le sujet qui m'est proposé est de ceux auxquels je suis incapable de réfléchir de façon abstraite. Et c'est pourquoi j'avais espéré trouver ici quelques questions qui m'auraient permis de me lancer dans ce sujet. En vous écoutant d'abord : cette écoute m'aurait peut-être stimulé, aurait peut-être éveillé en moi un écho aux questions qui nous préoccupent. Tout de même, peut-être puis-je dire quelques mots sur, – je ne dirais pas « la beauté », parce que c'est un mot qui déjà s'offre à moi d'une manière conceptualisée qui me gêne – mais sur un certain cheminement, cheminement obscur qui parfois fait pressentir une réalité qui se manifeste sous des apparences, ou qui se manifeste par des pressentiments, des signes intérieurs auxquels nous donnons précisément le nom de « chose belle ». Ce que je puis dire de la beauté donc n'est jamais que l'expérience, j'allais dire qu'une rencontre, mais ce mot est tellement employé aujourd'hui qu'il faudrait presque le redéfinir, expérience d'une certaine émotion fondamentale... »

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     « Messieurs,

     Avoir conscience d’être en un lieu où nul mot n’échappe au contrôle de l’attention, et de parler à des esprits dont c’est le mérite et la charge, en des domaines de pensée si divers, d’être ensemble les gardiens du sens, est une épreuve dont celui qui la subit pressent qu’il en sortira transformé. Je mesure combien je fus aventureux en sollicitant vos suffrages, puisque aujourd’hui, en face de vous, je crains si fort de faire la preuve que les mots me manquent pour vous remercier.
     Car il est vrai que les mots me manquent : et non seulement pour exprimer la reconnaissance que je vous ai. Je suis de ceux auxquels les mots manquent toujours, et qui ne les trouvent plus dès qu’ils les cherchent... »

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     « Ce Congrès jubilaire du P.E.N. international ne peut qu’avoir une signification exceptionnelle. À cinquante ans, une organisation, tout comme un être humain responsable, fait ses comptes avec son passé et s’interroge sur. son sens à venir. Plus que jamais son unité intérieure doit être préservée et plus que jamais peut-être elle est fragile. Quand cet homme ou cette organisation sont étroitement liés à l’histoire, et que cette histoire est celle d’un siècle tragique et énigmatique entre tous, il est naturel, et sans doute nécessaire, qu’ils en sentent tout le poids sur leurs épaules, qu’ils prennent conscience de leur fatigue et parfois de leurs symptômes d’usure, ne serait-ce que pour mesurer l’effort à faire pour demeurer vivants. Demeurer vivants, et non pas se survivre. Beaucoup d’hommes, et même d’organisations, se prolongent tant bien que mal au-delà de leur raison d’être. Ils n’ont pas su, ou l’histoire a fait qu’ils n’ont pas pu, rester fidèles à leur idée à travers les destructions et les ambiguïtés d’une époque à laquelle aucune tour d’ivoire ne résiste, aucun esprit ne peut se flatter d’échapper... »

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     « Je voudrais, derrière les notabilités, derrière les membres de l’enseignement, derrière les invités d'honneur, m'adresser tout particulièrement à ceux qui sont là-bas, tout au fond de la classe, ces quelques centaines d'élèves, jeunes et moins jeunes, de l'école publique, dont Jules Supervielle est certainement content de sentir qu'ils sont autour de lui, c'est à eux que je m'adresse d'abord.
     Mes chers amis, ne croyez pas que Jules Supervielle ait été un premier de classer Voici ce que dit un de ses bulletins trimestriels, à Janson-de-Sailly, sous la signature de son professeur de lettres – il est alors en train de préparer son baccalauréat – « plus de facilité que de zèle, pense et écrit trop vite, aurait pu réussir s’il avait voulu ». Combien de fois les professeurs n'ont-ils pas mis à la fin de leurs observations, au sujet de l'un de leurs élèves « aurait pu réussir s'iI avait voulu ! » Mesdames et messieurs, d'une certaine manière, l'élève Supervielle a réussi puisque ce lycée est mis sous sa protection, mais dans cette appréciation du professeur le plus important de la classe, retenons particulièrement ce « pense et écrit trop vite » qui s'applique bien curieusement à un homme dont la. faculté était justement de penser lentement et d'écrire plus lentement encore... »

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     « Parmi les récipiendaires auxquels l’Université de Montréal confère aujourd’hui un doctorat d’honneur, c’est au poète qu’est dévolu l’honneur particulier de remercier l’Université de la distinction qu’elle leur accorde. Ce poète n’oublie pas qu’il compte dans cette Université et cette cité de vieux et profonds amis, et que c’est à leur fidélité qu’il doit sans doute le sens d’une aussi haute journée. Il pense aussi que, peut-être, l’énergique défense et illustration de notre langue et de nos cultures communes, qui marque si fortement votre action, a pu rendre l’Université indulgente aux efforts beaucoup plus modestes qu’il déploie dans le même ordre. Mais il n’en préfère pas moins imaginer que ce choix du poète, plutôt que du sociologue ou de l’ingénieur, doit être, de la part des autorités universitaires, une provocation délibérée.
Provocation : le poète est sommé de dire. Dans un monde où de moins en moins, pour ne pas dire jamais, on fait appel à lui en tant que tel pour délibérer des grandes orientations de l’homme, l’honneur qui lui est fait a quelque chose de paradoxal, qui semble exiger de lui une légitimation... »
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     « Tout à l’heure, un récitant va prêter son souffle à la lecture claudélienne des Psaumes. Ce récitant connaît le souffle du poète, il se l’est incorporé, il s’est battu avec Claudel comme celui-ci s’est battu avec les Psaumes. Mais Alain Cuny n’aura pas à se battre qu’avec le texte : il devra aussi remplir d’une violente louange l’espace sacré de ce lieu. Nous allons donc participer à un double combat pour l’énonciation, combat livré de l’intérieur du texte et vers les voûtes de la basilique : ces voûtes représentent l’univers que doit rythmer, élargir, accroître sans cesse et sans limite la parole humaine célébrant la gloire de Dieu. Enarrant, comme dit Claudel, sa puissance omnicréatrice de Dieu.
     Quel langage, non pas un chant, mais la modulation d’une voix personnelle, peut à la fois atteindre chacun de nous dans l’intime du coeur, et contenir toute notre assemblée, notre monde ? »






     « Quand un homme parle dans cette église, il n’a pas en face de lui un public, mais une assemblée. Il parle dans un espace dont cette assemblée reçoit forme, comme toutes celles qui s’y sont succédé, durant des siècles et jusqu’à ce jour. Toutes subsistent et pour ainsi dire coïncident, ne formant qu’une seule et même assemblée en ce lieu dont même un visiteur de passage pressent qu’il est intemporel.
     Je parle ici, et votre assemblée écoute, à l’intérieur de cette communion. Je parle, et votre assemblée écoute, sous la protection d’une présence dont ces voûtes sont la figure visible, et qui intègre les générations continues dans un seul mouvement. Ce mouvement, cet élan vertical, passe encore aujourd’hui en nous-mêmes, il nous suffit de lever les yeux pour le sentir. Et quand je dis sous ces voûtes : je crois à la communion des saints aujourd’hui, c’est cette présence et ce mouvement que j’atteste, non pas devant votre assemblée, mais dans notre assemblée dont je suis un des membres… »







     « Le prestige, chez un chef, est l’ensemble tout indéfinissable de qualités, je dirais presque de puissances de l’âme, par lequel cette autorité s’impose. Ne résistons pas au plaisir de citer cette belle formule qui résume ce qu’il y a en lui de magie : "Il en va de cette matière comme de l’amour, qui ne s’explique point sans l’action d’un inexprimable charme".
     Le prestige est une maîtrise des événements et des hommes, qui suppose un risque, une audace, une décision. "En face de l’action, la foule a peur", dit de Gaulle. Le chef, lui, s’incorpore à l’action : encore faut-il qu’elle ait un dessein qui, dit-il encore, "porte la marque de la grandeur". Ce mot, de nouveau, nous arrête. Il n’est pas de notre vocabulaire familier... »

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