« Emmanuel était hanté par cette banalisation de l’événement dont la communication moderne est devenue coutumière. Lui, c’était l’exact contraire, le regard en profondeur qui cherchait à voir ce qu’il y avait sous la réalité. Toute son œuvre en témoigne, et ce qu’il a écrit en ce journal [France Catholique] en faisait partie. C’était bien du journalisme, mais comme seuls peuvent le pratiquer les très grands écrivains quand ils ont, comme c’était son fait, une passion pour l’histoire, ses tumultes, ses drames, mais aussi ses promesses.
Pierre Emmanuel était un veilleur jamais las de guetter l’aurore. (…)
Pierre Emmanuel n’empruntait pas les chemins de la facilité, ces sentiers de grande randonnée où l’on pose sur le temps un œil de flâneur. Celui d’Emmanuel scrutait le destin. À son contact on réalisait la grâce de la poésie qui ne s’emploie pas à embellir la vie mais à l’appréhender. Cet être de l’imaginaire en savait plus sur le réel humain que tant de ses contemporains en manque d’horizon. »
(France-Catholique, 28 septembre 1984)
Emmanuel précisément c’était tout le contraire du fugitif. À son contact on se sentait appelé à une plénitude qui devrait être la vraie mesure de nos existences à chacun. Si vraiment nous vivions ce qui s’appelle vivre. "Il faut, me disait encore Emmanuel, que tout visage redevienne pour chacun de nous comme une hostie".
(…) Avec Emmanuel, on ne se situait pas dans le banal. Je garde un souvenir intact de cette matinée qu’il m’avait consacrée, et qui préparait mystérieusement de grands prolongements. Je lui avais demandé pour finir s’il était heureux d’être un homme de cette époque. Il m’avait répondu : "Je suis ici ; je suis un homme de maintenant. Le reste ce n’est pas une question. De temps en temps bien sûr je connais des moments de joie, de plénitude. Être écrasé devant la Majesté divine c’est aussi une façon d’être heureux. La compassion, la communion, la souffrance, ça ne vous rend pas plus heureux mais plus homme. Le bonheur ce n’est pas tellement important à mes yeux. Ce que je cherche va bien au delà des catégories du plaisir. La joie en revanche c’est capital. La joie c’est une lumière, on la quête toute une vie. Je n’ai vécu que pour cela : accueillir et dire la joie". »
France Catholique, n° 2466, 16 septembre 1994