« Où trouverait-on aujourd'hui le ton épique ? Chez Saint-John Perse, chez Jean Grosjean avec le Livre du Juste.
Surtout, peut-être, chez Pierre Emmanuel.
N'a-t-il pas été pendant la dernière guerre, et ce n'est pas un hasard, le réinventeur du poème-fleuve, où le lyrisme, en brisant les limites du poème bref, atteint aussi un plus vaste objet, se déploie jusqu'aux dimensions de l'histoire et du cosmos, se meut sur un immense orbite qui englobe l'actuel et l'éternel, l'humain et le divin ?
Avec Babel, Emmanuel nous a donné une nouvelle œuvre remarquable.
Cette Babel dont il parle est le monde moderne, mais porté à une hauteur hiératique. À la base, la boue, sur les degrés du monstrueux édifice, la sueur amère et le sang, en haut, le délire. Tout le poids de la réalité, tous les appels de désespoir de cette "Métropolis" sont sans cesse présents ; rien ne manque de ce qui peut conduire aux doctrines de nihilisme et de capitulation, mais la vue des villes n'aveugle pas le poète. Autour d'elles, il sait magnifiquement évoquer les étendues de la terre, la rumeur des fontaines, les souffles de vent, la rosée des étoiles, le cœur de l'homme et le secret de la grande présence-absence divine.
Pour hautement lyrique que soit cette poésie, on voit comment elle dépasse la pure effusion du cœur et communique avec tout le drame du monde. »
Michel Carrouges, Preuves, n° 25, 1953