PIERRE EMMANUEL

La face humaineÉditions du Seuil, 1965

    Lieu commun : cette expression m’est chère, justement par ce qu’elle a d’apparemment péjoratif. Lieu piétiné, foulé en rond, battu et rebattu comme l’endroit d’une perte, où depuis toujours, toutes pistes brouillées, l’homme ne reconnaît plus ce qu’il y cherche. Ici est caché le trésor de l’enfance, l’objet de désir qui passe tout désir. Malgré lui, l’adulte y retourne sans cesse : il ne saura jamais s’il a retrouvé le trésor. Les espaces des premières années ont rétréci à notre échelle présente : une grâce répandue autrefois sur les choses s’est évanouie des objets. Elle se dérobe en s’éloignant vers l’intérieur, invite phosphorescente, lumineuse à proportion de la profondeur des ténèbres. Cette profondeur du lieu commun est l’Orient de notre solitude. Le trésor, pour chacun de nous, gît à la fois dans la chasse en commun et tout au bout de la chasse commune.

                                                   La face humaine, « L'homme parle »

 


 

     La face humaine paraît aux éditions du Seuil en 1965. Deuxième volet de la trilogie qui permet à Pierre Emmanuel de réfléchir à sa vocation poétique.
     En 1940 Pierre Emmanuel écrivait en exergue de « Camps de concentration » (Jour de colère) un vers de Pierre Jean Jouve : « Dieu souffre, et la face humaine est offensée » (À la France, 1939). La face humaine est pour Pierre Emmanuel « notre sceau royal », la ressemblance de l’homme à Dieu :
     « La face humaine, c’est le Je suis, J’aime, se confiant en même temps, de manière indivisible, à la chair et à l’esprit, à chacun et à tous ; notre unité et notre singularité en Dieu, son ipséité en nous. C’est la gloire de Dieu dans l’homme, la gloire de l’homme en Dieu ».
     L’œuvre s’ouvre sur un poème paru dans Preuves en juin 1962 : « Au nom secret ». Un texte liminaire en précise ensuite l’orientation : « La gloire de croire », puis la réflexion se développe en trois parties : « L’intelligence sociale », « L’intelligence cordiale », « La face humaine ». La parole y est montrée dans son rapport à autrui, dans son intériorité progressive, dans la construction de l’humain. L’ensemble débouche sur l’affirmation que la plus haute dimension de l’homme est dans son accueil de Dieu, fut-ce dans la lutte.