PIERRE EMMANUEL

L'Académie française

     Le 25 avril 1968 Pierre Emmanuel est élu à l’Académie française, au 4e fauteuil, précédemment occupé par Alphonse Juin et aujourd'hui par Jean-Luc Marion. Il est reçu sous la coupole le 5 juin 1969.

     Cette élection reconnaît la qualité de son œuvre, ce dont il tire une fierté légitime. Le travail sur le dictionnaire et les réunions qu’il suscite lui permettent aussi de mettre en œuvre son amour de la langue. Mais l’Académie est surtout pour Pierre Emmanuel un porche d’entrée pour des fonctions officielles, pour lesquelles on le sollicite alors davantage.

     Il en démissionne néanmoins le 29 novembre 1975, lorsque l’Académie élit Félicien Marceau, condamné par contumace dans son pays d’origine, la Belgique, pour avoir collaboré avec l’occupant durant les premières années de la guerre.

     « Ce jugement n’est pas affaire de littérature, mais de conscience. Je ne me permets pas de douter de celle de M. Félicien Marceau. Celui-ci trouva en France un asile, puis il reçut notre nationalité. Je ne m’élève ni contre l’hospitalité qu’il reçut, ni contre sa naturalisation elle-même. (…) [J]e me regarderais comme infidèle à la parole humaine et au souvenir de ceux qui, pour l’amour d’elle et de sa vérité, ont péri dans l’Europe de Hitler, si j’acceptais cette élection et cette majorité comme le veut toujours la coutume. » (Lettre de démission)

     Nombre de Belges lui en sont très reconnaissants. Mais, ce faisant, Pierre Emmanuel accepte une fois de plus de n’être pas compris et de se voir fermer bien des portes.


     « [J]e n’ai cessé de dire que dans le système de valeurs relatives où l’homme s’enferme avec obstination, la poésie n’est d’aucune utilité à rien : mais que, prise absolument, elle est nécessaire.

     Ce que tant d’intelligences aujourd’hui, qui comprennent presque tout et si vite, n’entendent pas ou feignent de n’entendre, c’est que l’inutile est pure grâce, et que l’homme est plus affamé de grâce que d’aucun bien. Les poètes passent leur vie et le plus obscur de leur temps à figurer ce nécessaire qui leur manque essentiellement. Comme ce qu’ils figurent leur échappe toujours, quoi de surprenant que cet insaisissable paraisse incommunicable ? D’où la méfiance de tant d’esprits positifs à l’égard de la poésie et plus encore des poètes, dont les arguments pour justifier la fonction poétique semblent concourir à la faire apparaître sans objet. De tous les témoins de son art, le poète est le plus récusable : heureusement la poésie en a d’autres, dont l’autorité rappelle à un univers qui l’oublie que cet art, dans sa démarche apparemment aveugle, a place parmi les formes hautes de la pensée. L’Académie, en m’ouvrant ses portes, rend une fois de plus ce témoignage à la poésie. »

          Discours de remerciement de Pierre Emmanuel, 5 juin 1969