PIERRE EMMANUEL

La parole est un acte

     En juillet 1942, dans le cadre de ses activités clandestines, Pierre Emmanuel reçoit la visite du jeune Claude André Strauss, autrement dit Claude Vigée, « envoyé en mission par l’A.J. ("Armée juive") de Toulouse à Lyon puis dans la Drôme pour y effectuer un travail de liaison et de renseignement ». Ainsi commence une longue amitié à laquelle les deux poètes furent fidèles jusqu’à la mort de Pierre Emmanuel. Claude Vigée raconte :

     « Entrebâillant la porte de sa maison, j’entendis retentir au-dessus de moi, du haut du premier étage où il s’était installé, la voix vibrante du poète qui "essayait", me sembla-t-il, les fragments d’une œuvre en chantier (peut-être l’ébauche de La Liberté guide nos pas), tout en arpentant d’un pas pressé le palier étroit transformé en "gueuloir" lyrique. » (Claude Vigée, La Faille du regard)

 

     Car le rôle de Pierre Emmanuel n’est pas de participer à la résistance armée : poète, c’est en homme de la parole qu’il entend lutter contre la destruction de l’homme entreprise par le nazisme. À la voix qui fausse le langage il va opposer la parole la plus travaillée qui soit : la poésie, le langage, peut-être, le plus en quête de vérité dans les mots de tous les jours.

     « Je fus un poète “de la résistance”, un poète “armé, engagé”. (…) Je ne fus pas un poète clandestin. À l’exception de deux textes courts publiés dans L’Honneur des Poètes – après avoir paru dans un journal suisse sous mon nom – tous mes recueils ayant trait à la guerre virent le jour sous ma signature, entre l’armistice et la libération. (…)  Mon besoin de m’exprimer était incoercible : la poésie me sauvait de l’asphyxie morale en créant un espace libre autour de moi » (L’ouvrier de la onzième heure).

    

     Pierre Emmanuel est audacieux dans son écriture. Il explique à Max-Pol Fouchet en juillet 1940 :

     « Que nous le veuillons ou non, nous sommes en charge du destin spirituel de nos frères, prisonniers ou morts : et cela, au moment le plus terrible pour l’esprit. Il dépend de nous que tout ce que nous aimons et savons être le plus haut de l’homme soit défendu et au besoin confessé avec force, en notre nom et en celui de ces muets qui plus tard nous jugeront. »

     Ses écrits sont le fruit de cette conviction.

     « Ce que la tyrannie met en cause, c’est le fonds universel de l’homme, dont la poésie, même la plus humble, est la voix. L’esclavage est intolérable parce qu’il attente à l’affect fondamental, parce qu’il porte offense, non point à notre conception, mais à notre religion de l’homme, à cette dignité souveraine qui nous fait aimer, croire et souffrir, et de laquelle toute poésie vraie tient son mystère » (Poésie raison ardente, « La poésie qui naît de la guerre »).                                         .../...