PIERRE EMMANUEL

La poésie en temps de guerre

     En mai 1940 Pierre Emmanuel fait paraître « Camps de concentration » dans la revue Fontaine dirigée par Max-Pol Fouchet. En juin paraît « Prière pour nos ennemis » dans Esprit.

     Après la débâcle et l’exode, dès le mois de juillet il envoie de nouveaux poèmes à Fouchet. « À une église dévastée » paraît dans le numéro d’été de la revue Fontaine.

     Dans le numéro suivant paraît « Je crois », acte de foi dans l’avenir de l’homme.

      En octobre Pierre Emmanuel entre en relation avec Pierre Seghers, alors réfugié à Villeneuve-lès-Avignon. Pierre Emmanuel admirait la revue Les Poètes casqués (P.C.), que Seghers avait fondée dès 1939. Mais « n’étant pas casqué » lui-même, il ne pouvait y participer. Après la défaite, la revue devient Poésie 40. Avant même la parution du premier numéro, Pierre Emmanuel écrit son soutien à Seghers et lui envoie des poèmes. C’est le début d’une longue amitié et d’une collaboration fructueuse.

     En novembre 1940 Pierre Emmanuel envoie à Seghers le poème « Juifs ». Mais en décembre il lui demande de ne pas le publier : « L’Hymne de la liberté » qu’il avait envoyé à Emmanuel Mounier pour la revue Esprit « a été non seulement refusé par la censure, mais recopié avec soin. Il serait téméraire d’exposer Poésie 40 à une suspicion qui, peu à peu, et même très vite, pourrait la conduire à disparaître ».

     La censure intervient à plusieurs reprises ; elle supprime des titres (celui de « Camps de concentration » par exemple), les modifie : « Juifs » devient « Sion », « Prière pour nos ennemis » est réduit à « Prière », une dédicace à Emmanuel Mounier supprimée. L’Algérie et la Suisse, où la pression est moindre, permettent néanmoins de contourner bien des obstacles.

     Tout au long de la guerre Pierre Emmanuel collabore ainsi à différentes revues de résistance, en particulier Fontaine, Poésie 40, 41 etc., Les Cahiers du Sud (Jean Ballard), Messages (Jean Lescure). Il est salué dans Confluences (René Tavernier), Combat (André Bollier)…


     Pierre Emmanuel fait aussi paraître poèmes et articles en Suisse grâce à Albert Béguin (Les Cahiers du Rhône), Jean Lachenal (Traits). Ce dernier publie en particulier « Octobre », sur les otages de Châteaubriant, qui lui est parvenu à Noël 1941. Avec le poème « Otage » de Seghers qui l’accompagnait, ce furent « les premiers poèmes résistants anonymes à être publiés, tant en France qu’ailleurs » (Lachenal, Éditions des trois collines). Pierre Emmanuel publie aussi dans Formes et couleurs (= La Suisse contemporaine, sous la direction de René Bovard).

     Il réunit ensuite ses poèmes en volume plus construits, qu’il complète de textes inédits :

     Jour de colère est prêt dès l’été 1941 ; il paraît en janvier 1942 aux éditions Charlot (Alger), retardé par des pénuries de papier, des ennuis d’imprimeur etc.

     Combats avec tes défenseurs est composé entre l'été et l’automne 1941 ; il paraît en janvier 1942 aux éditions de Pierre Seghers.

     La liberté guide nos pas sort à la libération. Il reprend lui aussi des poèmes composés sous l’occupation.

 

     Parallèlement, Pierre Emmanuel a une correspondance suivie avec Louis Saguer, grand musicien alors connu sous son nom allemand de Wolfgang Simoni, dont il a entendu parler par Jouve. Le compositeur est réfugié à Clermont-Ferrand. Leur amitié manifeste la clairvoyance et l’humanité de Pierre Emmanuel, qui ne confondit jamais Allemands et nazis.

 

     Il participe aussi activement à la première rencontre « Poésie et musique » à Lourmarin, en septembre 1941, organisée par l'association « Jeune France ». Les dirigeants de l'association sont Schaeffer à Vichy (vice-président de l’association et directeur) et Paul Flamand à Paris. La rencontre réunit la plupart des jeunes poètes d’esprit résistant de zone Sud, et Pierre Emmanuel y fait de nombreuses rencontres.

     (Sur la photo : Emmanuel Mounier, Pierre Emmanuel, Henri Marrou Davenson, Lanza del Vasto, Max-Pol Fouchet, Loys Masson)

 

     En 1946 paraît Tristesse ô ma patrie, que Pierre Emmanuel ne lie jamais aux œuvres de guerre. Des « poèmes de circonstances » y décrivent l’atmosphère de Lyon, évoquent des figures aimées et respectées, puis, dans la partie « davantage les mois de la libération : « écrits à la suite de plusieurs pèlerinages au Vercors. (…) Ils veulent être la pure transcription poétique des images d’horreur que le poète en a rapportées » (Tristesse ô ma patrie, Note). Ils furent d’abord publiés en préface du Livre noir du Vercors. Très proches de la scène vécue, ils la restituent comme le ferait un tableau, avec tout à la fois la proximité et la distance de la parole.

Haut ↑