Jean Paulhan
Jean Ballard
Le 1er août 1938, Pierre Emmanuel, qui n’est pas encore connu sous ce nom, reçoit à Gan une lettre de Jean Ballard, directeur des Cahiers du Sud :
« Michaux me fait tenir deux poèmes de vous à l’intention des Cahiers du Sud, et il a bien raison. Je reconnais là une fois de plus son flair infaillible en même temps que sa considération pour nos Cahiers.
Vos dons poétiques sont incontestables, et on retrouve enfin dans vos poèmes le souffle puissant que la poésie s’est tant efforcée de retenir depuis 20 ans. Vous respirez cette grandeur dont nous avons besoin. »
Pierre Emmanuel lui répond dès réception : « …leur grandeur vient de ce qu’ils sont directement poésie, c’est-à-dire dévoilement d’un monde nécessaire, irréductible à tout autre. Je crois que cette nécessité n’est autre que mon destin. »
[...] C’est le début d’une fructueuse collaboration, houleuse parfois mais toujours riche, entre le jeune poète et la revue marseillaise.
Pierre-Louis Flouquet
Pierre Emmanuel écrit à Jean Paulhan le 26 février 1940 : « Flouquet, à qui un de mes amis avait soumis un certain nombre de mes poèmes (dont le Châtiment de Sodome) m’écrit avec enthousiasme pour me proposer de m’éditer. Je ne partage pas l’enthousiasme (à cause de Sodome) mais suis heureux de la proposition ».
Telle est la première mention du peintre, poète et éditeur belge Pierre-Louis Flouquet dans les écrits de Pierre Emmanuel. Ils ne se sont alors pas rencontrés, à cause de la guerre. Le livre, qui s'intitulera Élégies, est composé « de poèmes relativement récents, et que vous ne connaissez pas. Ils furent écrits en octobre, novembre et décembre derniers, et ne sont qu’un épisode déjà franchi dans la recherche technique et musicale de l’ensemble. Mes grandes sources d’inspiration, Orphée et le Christ, n’ont pas encore vu le jour » (Lettre à Jacques Maritain, 7 mai 1940). Coïncidence étrange, le livre paraissait ce jour là en Belgique, mais restait enseveli sous les bombardements...
Max-Pol Fouchet
La revue Fontaine accueille pour la première fois un poème de Pierre Emmanuel dans le n° 7, en janvier-février 1940. Il s’agit de « Camps de concentration » (p. 1-2), suivi de « Temps de la paix » (« On verra s’avancer… »). Audace du poète, à laquelle répond l’audace de l’éditeur… Clairvoyance de l’un et de l’autre, capables de voir l’inacceptable et prêts à le dénoncer car « Le poète a toujours des devoirs et ses devoirs sont des droits » (Fontaine, n° 5, août-septembre 1939).
Dès la déclaration de la guerre, Max-Pol Fouchet avait écrit dans l’éditorial de ce numéro 5 : « FONTAINE va s'essayer à rafraîchir ses amis altérés par le feu. / Car la poésie continue. Car la poésie doit continuer. Pour l'honneur des hommes ». Les poèmes de Pierre Emmanuel y trouvaient tout naturellement leur place.
Pierre Seghers
Le premier contact de Pierre Emmanuel avec Pierre Seghers date d'octobre 1940, sans doute de la fin du mois. Pierre Emmanuel est alors à Dieulefit depuis le mois de juillet, chassé de Pontoise par l’exode. « Je ne vous connais pas », lui écrit-il, « mais j’ai aimé votre petite revue, du temps où je n’y pouvais collaborer, n’étant pas “casqué” moi-même. Mais les armes spirituelles ont leur efficace, et si vous vous démobilisez, vous ne désarmez pas. Il est tellement nécessaire que les vraies choses vivantes le demeurent ! Voulez-vous me compter parmi vos amis ? » Pierre Emmanuel envoie en même temps deux poèmes : « Emmaüs » et « Moi seul dans les années ». La revue Poètes casqués, fondée en 1939 par Pierre Seghers, avait évidemment dû interrompre sa parution avec l’armistice, en juin 40. Elle se présentait comme un « Cahier de poésies publiées par des poètes-soldats », et Pierre Emmanuel, qui n'avait pas été mobilisé, ne pouvait y participer. Le 3 novembre 1940 une seconde lettre de Pierre Emmanuel montre que la réponse de Pierre Seghers était très positive. Dès ce moment il lui demande conseil, avec une grande confiance, en particulier sur les possibilités de faire jouer le « drame mystique qu’[il] vien[t] d’achever » (L’honneur de Dieu)...
Albert Béguin
Le 15 mars 1942 Le Poëte et son Christ est achevé d’imprimer dans la collection blanche des Cahiers du Rhône dirigée par Albert Béguin qui a rédigé la postface du livre, un long et beau texte intitulé « Pierre Emmanuel, poète chrétien ». C’est une grande joie pour Pierre Emmanuel, qui avait proposé cette œuvre dès le mois de mai 1940 à Jean Paulhan, puis en mars 1941 à Max-Pol Fouchet, enfin en juin 1941 à Pierre Seghers. Contrairement à d’autres ouvrages, le titre n’a jamais changé depuis la première mention de l’œuvre.
Albert Béguin enseignait depuis 1937 à l’Université de Bâle. En 1942 il crée la collection des Cahiers du Rhône aux éditions La Baconnière. Le livre de Pierre Emmanuel est le premier volume de la collection blanche ; Albert Béguin le souhaitait ainsi : « Pierre Emmanuel m’a envoyé un gros recueil Le Poëte et son Christ, poèmes écrits en 1938, que j’ai parcourus et trouvés admirables. (…) Ce sera notre premier Cahier poétique » (Lettre à Marcel Raymond, Lettres, 1920-1957, La Bibliothèque des Arts, 1976)...
Paul Flamand
Memento des vivants est le premier ouvrage de Pierre Emmanuel publié par Paul Flamand, en 1944. Le Seuil est encore une toute petite maison d’édition. incarnant les valeurs d’un humanisme chrétien proche de la revue Esprit et d’Emmanuel Mounier.
Pierre Emmanuel avait participé, en septembre 1941, à la deuxième grande réunion de Jeune France à Lourmarin. Paul Flamand était un des animateurs du mouvement. Sans doute est-ce alors qu’ils se rencontrèrent. Leur amitié et leur collaboration ne se démentirent plus, en sorte que le Seuil devint la maison d’édition de Pierre Emmanuel jusqu’au Grand œuvre.