« Qui, mieux qu’un artiste, ce résonateur des paradoxes, peut prendre sur lui, en l’intégrant dans son art qui l’exprime et le dépasse, l’expérience universelle d’un tel ébranlement fondamental ? Son témoignage atteste que le fait objectif ne peut saisir la permanence et la nouveauté d’un étonnement qui, aujourd’hui comme sur le chemin de Damas, frappe dans son incrédulité radicale l’homme dont il fait un chrétien.
De ces témoignages d’artistes, voici un premier exemple. Il est de Jean-Sébastien Bach, dans la Passion selon saint Jean. C’est le fameux air de contralto : « Es ist vollbracht » (Tout est consommé) : parole divinement distendue, tout entière de mort et de vie ; soupir que l’âme chrétienne recueille des lèvres du Christ mourant, et qu’elle étire en une plainte infinie, désespoir indiciblement tendre devant l’évidence absolue de la mort : plainte elle-même trouée vers le haut, sans être pour autant suspendue, par le cri de victoire en majeur qui situe le triomphe sur la mort à l’instant précis où la mort triomphe. Le germe de la Résurrection est pressenti dans et par la mort, sans abolir le scandale de celle-ci. Car voici que la plainte reprend, recouvre à son tour le chant victorieux. Mort et résurrection, vécues ensemble dans l’espérance, restent antinomiques dans le temps : la rupture au centre même de l’aria manifeste une action transcendante, l’insertion dans notre mortalité d’une certitude qui lui échappe et pourtant doit y mûrir. Mourir pour vivre : tout l’œuvre religieux de Bach est la germination de cette certitude. Certitude pour chacun et pour tous, mais en Jésus-Christ seul, comme l’expriment dans l’Actus Tragicus, au niveau de la condition humaine tout entière, huit lentes mesures pour le chœur sur les mots : « In ihm sterben wir » (En lui nous mourons). »
Choses dites
, « Discours sur la résurrection », p. 276-277
[Un autre texte sur Jean-Sébastien Bach]