PIERRE EMMANUEL

Les débuts

     Avant de devenir Pierre Emmanuel, le jeune Noël Mathieu écrit des centaines de pages de poèmes entre la fin de 1933 et le début de 1938. Ils s’appellent « Invocation », « Conscience », « La Sainte Face », « Mystique ». Nombre d’entre eux n’ont pas de titre, plusieurs demeurent à l’état de brouillon. Tous témoignent de l’enthousiasme du jeune homme pour une forme d’écriture qu’il découvre à peine.

 

     En 1933-1934, Noël Mathieu prépare les concours des grandes écoles scientifiques. Il sait, néanmoins, qu’il ne pourra s’épanouir dans cette voie. Il se confie à son professeur de mathématiques, l’abbé Larue, qui lui lit des poèmes de Valéry, Mallarmé etc. Un monde nouveau s’ouvre à lui, mystérieux, loin du langage logique et rationnel qui l’entoure. Le jeune homme lit les poètes modernes, de Patrice de La Tour du Pin à Pierre Jean Jouve, s’inspire des maîtres qu’il découvre, les imite inconsciemment, reprenant leur langage et leur monde. Il lit ses poèmes à ses amis, leur envoie des copies, convaincu de leur valeur, encouragé par leur enthousiasme.
     Au cours de l’été 1935, Jean Wahl montre un de ces poèmes à Jouve et lui transmet son commentaire flatteur : « Il l’admire, en m’encourageant à travailler la forme pour que l’œuvre soit grande ». Le jeune poète écrit alors plus que jamais. En février 1936 Noël Mathieu participe à un concours de poésie lancé par la revue Mesures. Ses poèmes ne sont pas retenus, mais il reçoit les encouragements de Michaux et de Paulhan. Il en envoie d’autres à la revue Esprit. Trois y sont publiés en février 1937.


     À la fin de l’été 1937 Noël Mathieu rencontre Pierre Jean Jouve à Paris. Il lui présente « toute une œuvre ! ou plutôt des centaines d’échantillons, que je lui remis en vrac ». Pierre Emmanuel revint souvent sur cette rencontre fondamentale avec Pierre Jean Jouve dont il affirme : « Il est pour moi le père du langage. C’est lui qui m’a donné le verbe ». Mais le maître le met en garde : « Tout cela n’est que matière ». Il lui suggère de se contraindre un temps au silence, jusqu’à ce que l’écriture lui devienne absolument nécessaire.

     Le silence dure, à peu près total, jusqu’en février 1938. Noël Mathieu écrit alors, comme sous la dictée, un étrange poème : « Christ au tombeau », qu’il signe pour la première fois Pierre Emmanuel. Ce nom, qu’il avait rêvé de donner à son fils, s’il en avait un, devient le sien. Il envoie le poème à Jouve et à Michaux qui lui disent leur admiration.

     Très vite Pierre Emmanuel écrit d’autres poèmes qui composeront Le Poëte et son Christ et Tombeau d’Orphée, d’autres qui se trouvent dans Élégies, Orphiques etc. Les premiers poèmes paraissent dans Mesures en août 1938 et Les Nouvelles lettres en octobre 1938.