« Je viens de revoir Saint-John Perse. Ce qui me frappe chez lui, c’est la présence tranquille. Rien ne le peint mieux que cette phrase de lui : “J’habiterai mon nom.” Vraiment il est tout entier ici. / Entre ses lointains souvenirs et sa passion devant le monde tel qu’il se fait sous nos yeux, nulle discontinuité, nulle différence dans l’actualité, mais tout un jeu de lumières et de nuances. C’est le même paysage, éclairé par le même regard : tout y change, mais tout y dure. / D’où la jeunesse physique de ce grand esprit : aucun signe apparent de l’âge, seulement cette plénitude qui parfait la maturité. (...) Saint-John Perse, (...) c’est midi, le milieu du jour : il est contemporain de ce qui naît et de ce qui s’efface ; entre lui et moi, de trente ans son cadet, le temps ne coule pas, il prend forme. Nos routes sont les mêmes : je suis son égal, un destin plus vaste que nous – celui de l’homme ou plutôt des hommes – une aventure commune, nous unit. (…) Saint-John Perse donnerait toute la fausse richesse de l’homme d’aujourd’hui, réduit à l’état de poussière d’atomes, pour la permanence têtue d’un langage constamment concerté. Langage, non littérature : j’ai devant moi un homme qui sait que le monde et la parole se prennent mutuellement au corps. Un poète, et un Prince. Ce qu’exprime le poète, le Prince l’a vécu, l’a rendu possible sur un plan plus haut, celui des symboles. Grâce à l’unité, dans un même homme, de l’expérience positive et de la vision, l’histoire présente est extrapolée, elle prend place dans la fresque éternelle de l’humanité, non point absurde, mais orientée par la pensée des plus grands, nés pour les “grandes œuvres de raison”.
L’homme à qui je parle ne mourra pas, car il connaît son rôle dans la fresque, et se réjouit en lui. »
« Hommage à Saint-John Perse », Combat, 16 mai 1957, repris dans Honneur à Saint-John Perse, Gallimard, 1965, p. 149-150.