PIERRE EMMANUEL

Pierre Emmanuel par lui-même - L'enfance

     « Ma mère est béarnaise : mon père était dauphinois. De Corps, où je ne suis allé qu’une fois, à dix ans, par-dessus (m’a-t-il semblé) des abîmes. Les Alpes m’ont terrifié. J’aurais voulu n’être que béarnais, et nonchalant : hélas ! Je suis aussi dauphinois et janséniste.
     Mon grand-père paternel était charpentier : mon grand-père maternel, maître-maçon. Moi, je bâtis des poèmes, qui ont des fondations, des murs, et un toit. En Béarn, on aimait la belle pierre. Les maisons étaient faites pour durer.
     (…) Certains partirent pour "les Amériques" : au début du siècle, mon père y entraîna ma mère, qu’il avait connue à Paris. J’ai donc à peine connu mes parents – et j’en ai souffert de manière vague, toujours. »

Pierre Emmanuel, Poètes d’aujourd’hui, Seghers


     « Mon père est entré dans l’inconnaissable sans que j’aie eu de véritable occasion ni même le désir de faire sa connaissance. Je garde pourtant vivement en mémoire ses traits sur son lit de mort. Il avait un visage maigre, racé, un air de jeunesse légèrement ironique, et s’était défait de l’humilité un peu fuyante que je détestais quand je la surprenais.
     (…) Nous échangions très peu de courrier : seulement des vœux de nouvel an. Je fus étonné, quand mon père vint à Paris, de l’intérêt qu’il portait à bien des choses, en particulier à la peinture. Certains de mes amis le rencontrèrent alors et m’ont dit sa modestie devant l’art, mais également son intuition. Tout cela fut perdu pour moi : mais peut-être me cherchait-il ainsi, à sa manière timide et douloureuse. »

Il est grand temps, Emmanuel, de revenir à la maison du père…



     « Une tante sexagénaire, assez fruste mais bonne infiniment ; ma grand-mère, jolie petite vieille aux yeux bleus, très fine sous son fichu noir de paysanne, et dont la mémoire était un trésor de contes ; puis une grand-tante plus vieille que le monde, mais dont la voix étonnamment jeune faisait revivre les vieux airs de notre béarnais : telles furent, jusqu’à dix ans, les gardiennes de mon enfance. » (Qui est cet homme ?)
     « L’amour de ma tante était mon unique patrie. Ou plutôt c’était le cœur d’une réalité indivisible de lui, celle d’un paysage, d’une nature natale ; d’un type humain villageois et paysan, auquel je m’étais spontanément accordé. Oublieux de mes père et mère, j’étais fils de la colline et du clocher. » (Inédit)


     « Je dois beaucoup à l’école élémentaire : un bon apprentissage de la langue, le goût de la lecture, un amour naissant de la poésie, le sens de l’histoire de France et une notion mystique du peuple, que je ne désavoue pas. J’ai respecté mon premier maître plus que tous les autres à l’exception d’un seul. En ce temps-là, les instituteurs de village étaient des notables, mais venant du milieu et lui restant liés. Ils ne tenaient pas leur importance de la supériorité de leur état, mais d’une vertu médiatrice qui leur semblait aller avec leur fonction : c’étaient des serviteurs du peuple. Je dois à M. Lartigau la nostalgie de cette conception du service à l’échelle d’une petite communauté, et de la médiation qu’il implique entre celle-ci et les communautés plus vastes. Enfant, je n’imaginais pas d’autre destin que local : mais avec le ciel au-dessus de ma tête. »

La révolution parallèle


     « Le frère de mon père était professeur à Lyon : c’est à lui que mon père me confia. Mon oncle était marié, père d’un enfant du même âge que mon frère : j’entrais, à dix ans, dans une famille qui n’était pas la mienne ; peut-être mon père pensa-t-il qu’une atmosphère familiale compenserait l’éloignement des miens.
     Le choix du collège fut vite fait ; on me mit au pensionnat des Lazaristes, que les Frères dirigeaient. »
     « Mon oncle m’aimait, et il m’en a donné bien des preuves jusque dans la douleur que je lui ai causée (…). Le malentendu entre les enfants et les parents est trop profond, peut-être trop nécessaire, pour qu’il cède jamais, même aujourd’hui où bien des parents font tant d’efforts pour l’éviter. Mon oncle, lui, était d’un temps où les rapports entre père et fils étaient d’autorité pure. Qu’il ne m’ait pas compris me semble aujourd’hui bien naturel : la même mésaventure me serait arrivée dans la plupart des familles lyonnaises d’alors. Je (…) sais maintenant récapituler son affection et ses bontés pour moi. »

Autobiographies


      « J’eus mes deux bachots, comme tout le monde : et le prix d’excellence de l’année, offert par les anciens élèves. »
     « J’entre donc en période de formation de mathématiques spéciales. (…) La pratique des mathématiques que j’avais connue c’était, disons, la pratique des frères des écoles chrétiennes qui était extrêmement efficaces pour développer de grands mécanismes. Mais la pratique des mathématiques devant laquelle je me trouvais au lycée du Parc c’est une invention. Et là je suis incapable de soutenir cette invention. (…) Et donc je me replie si je puis dire sur le cours Sogno à Lyon qui était un cours des frères des écoles chrétiennes, où est reprise (…) la méthode que j’avais connue. Et donc, je redeviens le très bon élève. Mais quelque chose avait été blessé. J’étais tout à fait incertain de la vérité de cette orientation. Je ne l’avais que subie, mais là, j’allais dire ce mensonge, cette erreur, étant patente. Mais il n’y avait rien pour la remplacer. »

Conférence de Pierre Emmanuel, 25 février 1982, à la Fraternité des compagnons d’Edmond Michelet

 

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